Article Le Matin Dimanche 17 novembre 2024 - Nicolas Pinguely
INDUSTRIE TEXTILE Partie en faillite en 2016, la célèbre marque vaudoise de t-shirts bios a été relancée par l’un de ses anciens cadres. Rencontre avec Marc Joss, qui dirige désormais la firme.Tiens, tiens, revoilà Switcher. Les t-shirts frappés d’une baleine jaune sont de retour dans les étals. Presque en catimini. Fondée en 1981 par l’emblématique Robin Cornelius, la firme Switcher avait fait du coton bio et de la traçabilité sa marque de fabrique. On avait laissé pour morte l’entreprise vaudoise, partie en faillite en 2016. Elle connaît pourtant une seconde vie en Suisse alémanique, dans le canton d’Argovie plus précisément. Le point avec Marc Joss, l’actuel directeur général de la marque, qu’il a relancée.
Pour beaucoup de gens, la marque Switcher n’existait plus. On voit pourtant vos t-shirts et pulls en vente dans certains magasins de Suisse romande. La faillite est donc derrière?
Oui, Switcher a été relancé depuis 2020 déjà, avec de nouveaux investisseurs. Pour ma part, je suis dans la société depuis 2001, dont j’étais le chef des ventes. Et je crois en la marque.
Vraiment? Vous demeurez positif malgré la vive concurrence dans le secteur?
Oui, car les ventes atteignaient 20 millions en Suisse avant la faillite. Notre base de clientèle était solide. Arrêter les affaires a été une bêtise et il aurait mieux valu restructurer la société. Je me suis battu à l’époque pour trouver une solution pour sauver la marque. Mais les actionnaires n’ont pas pu s’entendre. Je l’ai par la suite relancée avec un nouvel actionnaire majoritaire, le groupe indien Sulochana.
Switcher à l’origine était une marque vaudoise, basée au Mont-sur-Lausanne. Quels sont aujourd’hui vos liens avec la Suisse romande?
Ils se sont distendus pour des raisons économiques. Pour ma part, j’ai vécu quinze ans dans la région lausannoise et tout près de Echallens, à Poliez-le-Grand (VD). Notre entrepôt et notre logistique se trouvaient à Penthalaz et Genève jusqu’à l’année dernière. Mais depuis 2023, tout l’opérationnel a été regroupé à Frick, dans le canton d’Argovie.
Avez-vous encore des contacts avec le fondateur de la marque, Robin Cornelius?
Très peu, la dernière fois, c’était il y a deux ans. Robin Cornelius reste l’emblème de la marque et je sais que tôt ou tard on aura l’occasion de se revoir. Je lui dois beaucoup, même si j’ai été un peu déçu à la fin avec les différents investisseurs de la marque (ndlr: Robin Cornelius en faisait partie), ainsi que par le management en place à l’époque, qui a quitté le navire du jour au lendemain.
Employez-vous encore des gens en Suisse?
Oui, nous sommes dix personnes en Suisse alémanique à travailler pour la firme, actives dans la logistique, la vente, le marketing et le développement de produits.
Historiquement, la marque Switcher faisait la part belle au développement durable et au coton bio. Une partie de la production venait d’Europe. Est-ce toujours le cas aujourd’hui, où tout est produit en Inde? Êtes-vous moins «vert» qu’à vos débuts?
C’est la grande histoire que beaucoup racontent, à savoir qu’il serait plus écologique de produire au Portugal (ndlr: acteur majeur du secteur textile en Europe) qu’en Inde. Eh bien, ce n’est pas le cas. Le bilan en termes d’émissions de CO2 d’un t-shirt fabriqué en Inde est similaire à celui d’un vêtement fabriqué au Portugal. Car le transport a un impact minime au final. En Inde, ils travaillent pour nous en circuit fermé, le coton est produit localement, et toute la chaîne de production est intégrée verticalement dans un périmètre de 20 kilomètres. Ce n’est pas le cas au Portugal, où tout doit être importé de loin pour faire tourner les usines.
Comment est-ce possible de combattre la concurrence des géants chinois de la vente de fast fashion, comme Shein, qui grandissent rapidement?
Les combattre est difficile. Ils réalisent des ventes de plusieurs dizaines de milliards dans le monde. De notre côté, nous misons sur la qualité et une communauté très fidèle de clients, à la recherche de produits qui ne se délabrent pas après trois mois. Je signale au passage que la teinture utilisée pour colorer les articles de fast fashion est de mauvaise qualité et pollue nos eaux lorsqu’ils passent à la machine à laver. Cela pose un vrai problème écologique.
Comment vous situez-vous par rapport aux géants Zara ou H&M?
On est à des années-lumière de ces géants. Je note cependant que ces mastodontes se sont tous inspirés de ce que proposait Switcher en matière de développement durable, traçabilité et respect de normes sociales notamment. Nous avons eu un gros impact sur l’industrie textile et avons été avant-gardistes. Mais je ne peux pas me comparer à un H&M qui réalise des ventes de 20 milliards de francs sur le plan mondial.
De combien sont vos ventes?
Nos ventes se montent actuellement à 3 millions, et nous tablons sur un chiffre d’affaires de 5 à 10 millions pour les cinq prochaines années en Suisse.
Vous n’êtes présents qu’en Suisse?
Oui, c’est exact. C’est une décision stratégique, car nous ne voulons pas gaspiller nos ressources financières, aujourd’hui limitées, pour croître à l’étranger. On envisagera la chose lorsque nos ventes avoisineront les 10 millions. Parfois moins, c’est mieux.
Quels sont vos produits les plus vendus?
Le t-shirt classique Bob demeure très demandé. Vendu 21 francs en magasin, ce dernier existe depuis 1985 et a une durée de vie de plus vingt ans. C’est un produit de qualité, tout l’opposé de la fast fashion.
Vous pensez donc que la qualité est un pari gagnant pour l’avenir?
Très clairement, mais à un prix abordable. C’est pour cela que nous employons de la main-d’œuvre indienne. Car tout le monde n’a pas en Suisse les moyens pour acheter un t-shirt facturé 60 francs en magasin, et ce même s’il est fabriqué en Europe, comme le font certaines marques.
Avez-vous des boutiques à vous?
Non, nous ne possédons pas nos propres magasins. Nous écoulons nos produits dans une soixantaine de boutiques multimarques en Suisse, notamment des magasins de sport, dont une quinzaine en Suisse romande, à Lausanne, Genève, Fribourg, Neuchâtel, Montana ou encore Verbier.
Écoulez-vous aussi vos vêtements en ligne?
Oui, nous réalisons 50% de nos ventes en ligne, en majorité sur notre site. Mais on trouve également nos pulls, trainings et autres articles chez Digitec et Galaxus.